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Activités
illégales des sectes
Doc.
8373
13 avril 1999
Rapport
Commission
des questions juridiques et des droits de l’homme
Rapporteur:
M. Adrian Nastase, Roumanie, Groupe socialiste
[abréviations:
CE: Conseil de l'Europe - CEDH: Convention européenne des droits
de l'homme ; note: aussi bien la Cour européenne des droits de
l'homme que la Commission Européenne des droits de l'homme ont
ces mêmes initiales, mais CEDH est utilisé ici pour la Convention
seulement. ]
Résumé
Quelles que soient les croyances
invoquées par certains groupes de caractère religieux,
ésotérique ou spirituel, seules les activités menées
au nom de ces croyances doivent retenir l’attention.
La liberté de conscience
et de religion est garantie par l’article 9 de la Convention européenne
des droits de l’homme, toutefois les activités des groupes à
caractère religieux, ésotérique ou spirituel doivent
être en conformité avec les principes des sociétés
démocratiques.
L’information est primordiale et
doit s’adresser en particulier aux adolescents dans le cadre des programmes
scolaires. La protection des plus vulnérables notamment les enfants
d’adeptes des groupes à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel, est une autre priorité.
Aussi est-il recommandé de
favoriser la création de centres nationaux ou régionaux
d’information et d’organisations non gouvernementales pour les victimes
ou les familles des victimes des groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel et enfin la création d’un
observatoire européen chargé de faciliter les échanges
entre les centres nationaux est demandée.
I.Projet de recommandation
1.L'Assemblée rappelle
sa Recommandation 1178 (1992) relative aux sectes et aux nouveaux mouvements
religieux dans laquelle elle a estimé inopportun le recours à
une législation majeure pour les sectes au motif qu'elle risquerait
de porter atteinte à la liberté de conscience et de religion
garantie par l'article 9 de la Convention européenne des droits
de l'homme ainsi qu'aux religions traditionnelles.
2.L'Assemblée réaffirme
son attachement à la liberté de conscience et de religion.
Elle reconnaît le pluralisme religieux comme une conséquence
naturelle de la liberté de religion. Elle considère la
neutralité de l'Etat et une protection égale devant la
loi comme des garanties fondamentales pour éviter toute discrimination
et invite donc les autorités étatiques à s'abstenir
de prendre des mesures fondées sur un jugement de valeur relatif
aux croyances.
3.Dans sa Recommandation
1178 (1992) elle s'est limitée à recommander au Comité
des Ministres d'entreprendre des
actions d'information
et de formation, tant à l'égard des jeunes que du public
en général, tout en demandant que la personnalité
juridique soit accordée aux sectes et aux nouveaux mouvements
religieux dûment enregistrés.
4.Depuis l'adoption de
cette recommandation un certain nombre d'incidents graves se sont produits
qui ont incité l'Assemblée à se pencher à
nouveau sur le phénomène.
5.L'Assemblée est
parvenue à la conclusion qu'il n'est pas nécessaire de
définir ce que sont les sectes, ni de décider si elles
sont ou ne sont pas une religion. Cependant les groupes désignés
sous ce nom suscitent une certaine inquiétude, qu'ils se décrivent
comme religieux, ésotériques ou spirituels, et cela doit
être pris en considération.
6.Par ailleurs, elle estime
qu'il faut veiller à ce que les activités de ces groupes,
qu'ils soient à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel, soient en conformité avec les principes de nos
sociétés démocratique.
7.Il est primordial de
disposer d'une information fiable sur les dits groupements, qui ne provienne
exclusivement ni des sectes elles-mêmes, ni des associations de
défense des victimes de sectes et de la diffuser largement au
grand public, après que les personnes concernées aient
eu la possibilité d'être entendues sur l'objectivité
de telles informations.
8.L'Assemblée réitère
la nécessité d'une action spécifique d'information
sur l'histoire des grands courants de pensée et des religions,
visant notamment les adolescents, dans le cadre des programmes scolaires.
9.L'Assemblée attache
une grande importance à la protection des plus vulnérables,
et notamment des enfants d'adeptes de groupes à caractère
religieux, ésotérique ou spirituel, en cas de mauvais
traitements, viols, absence de soins, endoctrinement par lavage de cerveau
et non-scolarisation qui rend impossible tout contrôle de la part
des services sociaux.
10.En conséquence,
l'Assemblée invite les gouvernements des
États membres:
i.à créer ou à
soutenir, si nécessaire, des centres nationaux ou régionaux
d'information sur les groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel qui soient indépendants
de l'Etat;
ii.à prévoir dans
les programmes d'éducation générale une information
sur l'histoire des grands courants de pensée et des religions;
iii.à utiliser les procédures
normales du droit pénal et civil contre les pratiques illégales
menées au nom de groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel;
iv.à encourager la création,
si nécessaire, d'organisations non gouvernementales pour les
victimes ou les familles des victimes des groupes à caractère
religieux, ésotérique ou spirituel, notamment dans les
pays d'Europe centrale et orientale;
v.à encourager une approche
des nouveaux groupes religieux empreinte de compréhension,
de tolérance, de dialogue et de résolution des conflits;
vi.à prendre des mesures
fermes contre toute action qui constitue une discrimination ou qui
marginalise des groupes minoritaires;
11.En outre, l'Assemblée
recommande au Comité des Ministres
i.de prévoir, le cas échéant,
dans ses programmes d'aide aux pays d'Europe centrale et orientale
une action spécifique concernant la création de centres
d'information sur les groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel dans ces pays;
ii.de créer un Observatoire
européen sur les groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel dont la tâche serait de
faciliter les échanges entre les centres nationaux.
II.Exposé des motifs de
M. Nastase
A. Introduction
1.Pourquoi un rapport sur les activités
illégales des groupes à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel seulement six ans après que l'Assemblée ait
adopté la Recommandation 1178 (1992) relative aux sectes et aux
nouveaux mouvements religieux?
2.Le contenu de la Recommandation,
qui a d'ailleurs été utilisé et cité par
la plupart des rapports nationaux consacrés aux sectes, reste
parfaitement d'actualité et sa mise en œuvre par les gouvernements
des États membres serait opportune. Mais deux raisons importantes
justifient que l'Assemblée se penche à nouveau sur le
phénomène. D'une part, le nombre des adeptes ne cesse
d'augmenter (60% en France entre 1982, date du rapport Vivien et 1995,
date du rapport Guyard) en dépit de l'information donnée
sur les activités de certaines sectes notamment à l'occasion
de troubles graves à l'ordre public (tuerie de la secte du temple
solaire, tuerie de la secte aoum au Japon, condamnations de membres
de sectes pour viols, manœuvres frauduleuses etc.) ou encore accusations
portées par l’église de scientologie contre le gouvernement
allemand accusé de pratiquer l'intolérance religieuse
et le racisme (voir par exemple, le rapport établi par le Landesamt
für Verfassungsschutz du Land de Baden-Württemberg, "Scientology-ein
Fall für den Verfassungsschutz"). D'autre part l'apparition
du phénomène sectaire dans les pays d'Europe centrale
et orientale où la liberté retrouvée a eu pour
corollaire le foisonnement de groupements proposant du spirituel, de
l'ésotérique ou du religieux à des individus qui
en avaient été privés pendant longtemps.
B.Travaux sur lesquels
se fonde le présent rapport
3.Tout d'abord le présent
rapport tient compte de celui de Sir John Hunt (Doc 6535) dont les conclusions
encore aujourd’hui peuvent être reprises intégralement
et qui était à l’origine de la Recommandation 1178(1992).
Cependant à la lumière des développements intervenus
entre-temps il convient d'en préciser certains points et d'en
approfondir certains autres.
4.Ce rapport se fonde aussi sur
celui de Maître François Bellanger, expert consultant,
annexé au présent document dont il fait partie intégrante
[voir document AS/Jur (1998) 5].
5.Il s'appuie aussi sur les informations
qui ont été fournies lors de l’audition tenue à
Paris le 8 avril 1997 par la Sous-commission des droits de l'homme en
coopération avec l'association européenne des anciens
parlementaires des pays membres du Conseil de l'Europe (voir document
AS/Jur/DH (1997) 2).
6.Suite à cette audition,
qui a été l’occasion pour un certain nombre de parlementaires
présents de prendre conscience de la réalité des
problèmes que posent certains groupes, la Commission a été
chargée de préparer un rapport et m’a désigné
comme rapporteur le 13 juin 1997. Il a donc fallu deux ans pour parvenir
au présent rapport qui a fait l’objet de nombreuses et riches
discussions au sein de la Commission des questions juridiques et des
droits de l’homme. Tous les membres de la Commission ont été
invités à faire part de leurs propositions d’amendement,
et celles-ci ont pratiquement toutes été retenues.
7.Il a pris en compte les rapports
parlementaires nationaux: celui de l'Assemblée Nationale française
(Rapport Guyard) de 1995, celui de la Commission d'enquête parlementaire
belge, intitulé "les sectes en Belgique", d’avril 1997
(Rapporteurs : MM. Duquesne et Willems), celui du Bundestag de
juillet 1997, ainsi que l'audit sur les dérives sectaires fait
par un groupe d'experts genevois de février 1997. Enfin le rapporteur
a eu à sa disposition le projet de rapport(1)
du Parlement européen sur cette question et a eu un échange
de vues avec sa Rapporteuse, Mme Berger. L'on peut noter que le Parlement
Européen avait déjà consacré lui aussi un
précédent rapport aux sectes en 1984 (Rapport Cottrell).
C.Définition
8.Le premier problème auquel
l'on est confronté lorsqu'on aborde la question est celui de
la définition. Il n'existe pas de définition généralement
admise de la secte. Toutes celles qui ont été avancées
ont donné lieu à des critiques soit parce qu’elles étaient
trop larges et obligeaient à y englober des mouvements qui ne
devraient pas l'être, soit au contraire parce qu'elles étaient
trop restrictives et en laissaient de côté d'autres qui
auraient dû en faire partie.
9.Les risques d’amalgame résultent
principalement de l’utilisation généralisée du
terme « secte » pour définir un phénomène
aux multiples facettes.
10.En effet, le mot « secte »
a pris aujourd’hui une connotation extrêmement péjorative.
Aux yeux du public, il stigmatise des mouvements qui ont une activité
dangereuse pour leurs membres ou la société. Le triple
drame de l’Ordre du Temple solaire et le suicide collectif des membres
d’un groupement californien ont ainsi contribué à marquer
les esprits et à développer un fort sentiment d’inquiétude
ou d’intolérance face au phénomène sectaire.
11.Or, le phénomène
sectaire regroupe aujourd’hui des dizaines, voire des centaines, de
groupements plus ou moins importants, avec leurs croyances et leurs
pratiques, qui ne sont pas forcément dangereuses ou liberticides.
Il est vrai que, parmi ces groupements, certains ont commis des actes
criminels. Toutefois, l’existence de quelques mouvements dangereux ne
suffit pas pour condamner l’ensemble d’un phénomène.
12.Le premier danger qui guette
les autorités souhaitant pallier les risques liés aux
activités sectaires est l’amalgame entre les groupements inoffensifs
et les groupements dangereux. Une approche qui appréhenderait
tous les groupements, dangereux ou pas, de manière globale, serait
manifestement, soit disproportionnée au regard de la liberté
de croyance si elle était trop restrictive, soit une porte ouverte
à tous les abus si elle laissait les groupements dangereux exercer
leur activité sans contrôle au même titre que les
groupements inoffensifs.
13.Le second piège dans lequel
les autorités étatiques ne doivent pas tomber est la distinction
entre les sectes et les religions(2).
L’illustration parfaite de ce risque potentiel, lié à
l’utilisation du terme « secte », est l’attitude
de certains groupements qui crient à l’intolérance religieuse,
voire au racisme, dès qu’un État envisage de prendre des
mesures. Ces groupements affirment en effet, rapports d’experts à
l’appui, qu’ils ne sont pas des sectes mais des religions et qu’en conséquence,
l’Etat n’a aucun droit d’agir à leur encontre. Face à
ces allégations, si l’Etat entre dans le débat en tentant
de démontrer que le groupement en cause ne serait pas une religion,
il abandonne son devoir de neutralité et participe directement
à une controverse spirituelle ou religieuse.
14.Ces deux dangers peuvent être
aisément évités par les autorités étatiques
moyennant une certaine prudence quant au vocabulaire et le choix d’un
mode d’action relatif aux actes des groupements.
15.Certes, il est évident
que l’utilisation du terme « secte » est très
tentante par les autorités étatiques, compte tenu du fait
qu’il est facilement compris par tout un chacun. Il conviendrait cependant
que les autorités étatiques renoncent à son utilisation
dans la mesure où il n’existe pas de définition juridique
de ce terme(3)
et où il a une trop forte connotation péjorative. Aujourd’hui,
pour le public, une secte est fortement mauvaise ou dangereuse. Pour
éviter ce terme « secte », trois voies
sont envisageables.
16.En premier lieu, il serait possible
de renoncer à la qualification de « secte »
en assimilant tous les groupements à des religions. Toutefois,
à notre avis, cette approche serait erronée, car trop
restrictive face à la diversité du phénomène
sectaire. Un groupement qui propose une doctrine ésotérique
n’est pas forcément une religion dont l’élément
central porte, en principe, sur la relation entre l’individu et un être
ou une force suprême.
17.En deuxième lieu, l’Etat
pourrait accepter de suivre la voie ouverte par certains groupements
et établir une distinction entre les religions, par définition
bonnes, et les sectes, forcément dangereuses, voire une séparation
entre les bonnes et les mauvaises sectes. À nouveau, une telle
démarche ne nous paraît pas acceptable. Au regard de l’article
9 de la CEDH, il est interdit à l’Etat d’effectuer une distinction
entre les différentes croyances et de déterminer une échelle
de valeur des croyances. A notre avis, cela n’est pas acceptable. Le
simple fait de procéder à une telle répartition
constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté
garantie par l’article 9 de la CEDH, car le fondement même de
cette liberté est l’absence de distinction entre les croyances,
qui explique le devoir de neutralité de l’Etat
18.De plus, cette approche est dangereuse,
car, en cas de litige, le débat porterait non pas sur les activités
des groupements en cause mais sur la nature de leurs croyances. Le premier
moyen de défense de certains groupements est de tenter de démontrer
que leurs croyances sont constitutives d’une religion, pour prétendre
ensuite agir à leur guise, même si cela implique la commission
d’actes illégaux. Dans une telle situation, si des autorités
étatiques acceptent d’entrer dans cette discussion idéologique,
elles sont obligatoirement amenées à se prononcer sur
la qualification des croyances en cause et se retrouvent dans une situation
inextricable. Soit elles admettent que la croyance concernée
n’est pas une religion et elles seront accusées de violer la
liberté religieuse et de persécuter le groupement en cause.
Soit elles considèrent que la croyance du groupement est effectivement
une religion, et ce dernier se prévaudra de cette reconnaissance
étatique dans son activité pour justifier toutes ses actions,
même illégales. Dans un cas comme dans l’autre, les autorités
étatiques auront pris parti dans une controverse religieuse et
auront donc violé leur devoir de neutralité au regard
de l’article 9 de la CEDH. Ce type de débat constitue donc un
piège dans lequel certains groupements essaient systématiquement
d’entraîner les autorités et que celles-ci doivent absolument
éviter.
19.En réalité, le
seul moyen d’échapper à ce piège est d’éviter
toute qualification des croyances en cause comme croyance non religieuse
ou religion. Ce qui nous amène à la troisième et
dernière voie envisageable, qui nous semble être la seule
acceptable.
20.Elle permet d’éviter les
obstacles que nous avons évoqués en se fondant sur une
approche plus descriptive du phénomène sectaire et en
s’intéressant non à la qualification des croyances mais
aux actes commis au nom ou sous couvert de ces croyances.
21.Il est ainsi possible de se référer
à l’existence de groupements « à caractère
religieux, spirituel ou ésotérique ». De cette
façon, les différentes facettes des croyances sont appréhendées
par une formule générale, qui ne porte pas en elle-même
un préjugé négatif.
D.Le rapport avec la liberté
de pensée, de conscience et de religion
22La plupart des groupes à
caractère religieux, ésotérique ou spirituel revendiquent
la liberté de religion et se définissent elles-mêmes
comme des religions. Il n'y a pas de définition non plus de la
religion, mais celle-ci est garantie et protégée en particulier
par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
23.En fait essayer de savoir si
les groupes à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel sont ou non des religions semble bien être un faux
problème. La liberté de pensée, de conscience et
de religion est garantie à chacun et il n'est pas question de
limiter l'exercice de ce droit au-delà de ce que prévoit
le paragraphe 2 de l'article 9 de la Convention :
"La liberté de manifester
sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions
que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires,
dans une société démocratique, à la sécurité
publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de
la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui"
24.La Cour européenne des
droits de l'homme a eu à se prononcer plusieurs fois sur l'étendue
de ces restrictions.
25.Contrairement à ce que
prétendent certains groupements qui souhaiteraient profiter d’une
totale liberté d’action sous le couvert de leur croyance, comme
toutes les libertés individuelles, la liberté religieuse
n’est pas illimitée (cf. article 9 § 2 de la CEDH cité
ci-dessus).
26.La Cour européenne des
droits de l’homme s’est prononcée sur cette notion dans une affaire
qui concernait les Témoins de Jéhovah. En Grèce,
à la suite d’une plainte, deux membres des Témoins de
Jéhovah ont été condamnés pour infraction
de prosélytisme. Saisie de cette affaire et suivant le rapport
de la Commission européenne des droits de l'homme, la Cour a
estimé que cette condamnation violait l’article 9 de la CEDH,
car l’interdiction du prosélytisme dans le cas particulier n’était
pas une mesure nécessaire dans une société démocratique
au sens de l’article 9, § 2 de la CEDH. La Cour a cependant admis
que soit interdit ou restreint un prosélytisme abusif, s’il revêt
« la forme d’« activités [offrant] des
avantages matériels ou sociaux en vue d’obtenir des rattachements
à [une] Église ou [exerçant] une pression abusive
sur des personnes en situation de détresse ou de besoin »,
selon le même rapport, voire impliquer le recours à la
violence ou au « lavage de cerveau »... »(4).
27.Dans le même sens, l’article
9, § 1 de la CEDH ne garantit pas toujours le droit de se comporter
en public de la manière dictée par ses convictions religieuses.
Ainsi, le fait de diffuser des idées religieuses opposées
à l’avortement aux abords d’une clinique pratiquant des interruptions
de grossesse n’est pas l’expression d’une conviction au sens de l’article
9, § 1 de la CEDH(5).
De même, une limitation de certaines manifestations extérieures
de la liberté religieuse pour des motifs d’urbanisme est admissible
dès lors qu’elle est proportionnée et répond à
un intérêt légitime.
28.Il est également admissible
au regard de l’article 9, § 1 de la CEDH, d’imposer le port du
casque à des motocyclistes pour des motifs de sécurité,
même si cela impose aux pratiquants de certaines religions de
retirer leur turban(6).
Dans le même sens, le Tribunal fédéral suisse a
récemment confirmé un retrait d’autorisation d’exploiter
une agence de sécurité privé, au motif que les
dirigeants de cette entreprise avaient fait un serment d’allégeance
à un groupement dont les idées apparaissaient manifestement
dangereuses(7).
29.Enfin, rappelons que la Commission
a admis qu’il puisse exister une incompatibilité entre une activité
religieuse et une fonction dans une administration. Ainsi, au sein d’une
Église officielle, un ecclésiastique souscrit tant des
obligations religieuses que des obligations envers l’Etat. Si les exigences
de l’Etat sont en conflit avec ses convictions, il a le choix de renoncer
à sa fonction de pasteur au sein de l’Église officielle.
Pour la Commission européenne des droits de l’homme, il s’agit
« d’une ultime garantie de son droit à la liberté
de pensée, de conscience et de religion ».(8)
30.Ce qui est pertinent pour la
problématique que nous étudions, ce n'est pas de savoir
au nom de quelle croyance telle ou telle activité est menée;
ce qui nous intéresse ce sont les activités elles-mêmes
des groupements qui justement tombent sous le coup des restrictions
prévues par la loi.
31.Comme le relevait le rapport
Hunt, les religions ne sont-elles pas des sectes qui ont réussi?
Au-delà de la formule qui peut paraître provocatrice, il
y a une constatation, à savoir que toute religion a commencé
autour d'un ou de quelques individus qui ont prôné des
idées nouvelles et ont généralement été
en butte à l'hostilité de la société, en
raison précisément de ce côté novateur et
donc dérangeant.
32.En ayant cela à l'esprit
il est par conséquent important de veiller à ne pas laisser
s'exercer des discriminations à l'encontre de groupes dont les
idées peuvent paraître dérangeantes ou choquantes
aujourd'hui. Seuls les actes commis au nom de ces idées, s'ils
sont contraires à la loi ou aux valeurs démocratiques,
doivent guider l'attitude à adopter à leur égard.
E. Propositions faites
par différents rapports nationaux ou internationaux
33.Le rapport Guyard (France)
propose de:
-
mieux connaître et faire
connaître et pour ce faire, création d'un observatoire
interministériel
-
améliorer dans chaque
ministère concerné le dispositif d'étude des
groupes à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel
-
informer les jeunes par l'Éducation
Nationale
-
organiser une campagne d'information
du grand public, notamment par le canal des chaînes de télévision
publiques
-
étendre et perfectionner
la formation des personnes qui, dans le cadre de leurs activités
professionnelles, notamment les fonctionnaires, sont confrontées
aux problèmes posés par les groupes à caractère
religieux, ésotérique ou spirituel
34.Le rapport d'enquête
du parlementaire belge propose de:
-
adopter de nouvelles dispositions
pénales spécifiques sur l'abus de la situation de
faiblesse et la provocation active au suicide
-
adaptation de dispositions existantes
en matière de protection de la jeunesse et de statut des
associations
-
accroissement du contrôle
sur le statut des associations sans but lucratif
-
création d'un observatoire
indépendant
35.La proposition de Résolution
sur les sectes dans l’Union Européenne du Parlement Européen,
présentée par Mme Bergen, considère que les inquiétudes
relatives à une recrudescence éventuelle des activités
des sectes et aux risques inhérents à celle-ci persistent
et qu’une collecte de données quantitatives ainsi qu’un examen
plus minutieux de ces phénomènes semblent (donc) souhaitables
et judicieux et elle poursuit en disant que «puisque les pays
d'Europe centrale et orientale sont aussi confrontés dans une
mesure croissante au problème des sectes, ces mesures doivent
s'étendre aux PECO et qu'il faut, dans le respect des droits
fondamentaux, octroyer une aide à ces pays dans le cadre des
programmes PHARE et TACIS …".
36.Il convient aussi de mentionner
que les Ministres des affaires familiales des États membres du
Conseil de l’Europe ont préconisé lors de la Conférence
sur "L'adolescence: un défi pour la famille", tenue
à Vienne en juin 1997, la création d'un centre européen
chargé de suivre l'activité des sectes susceptibles d’embrigader
psychologiquement les adolescents vulnérables.
F. Conclusions
37.A la lumière de ce qui
précède les mesures suivantes pourraient être proposées
qui sont recommandées par tous les rapports déjà
mentionnés et dont la plupart l’étaient déjà
par la Recommandation 1178. S'il est aujourd'hui nécessaire de
refaire des recommandations c'est que les États se sont bien
souvent abstenus d'agir par souci de respecter les libertés fondamentales
des personnes. Rappelons à cet égard que la Recommandation
1178 s'était prononcée contre le recours à une
législation majeure pour les sectes qui risquerait de porter
atteinte à la liberté religieuse garantie à l'article
9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les groupements
sectaires ont largement profité de cette tolérance et
se sont engouffrés dans la brèche qui leur était
ainsi ouverte. Ainsi pour reprendre les termes de l’expert l’attitude
des autorités étatiques devrait être la tolérance
d’une part et la vigilance de l’autre.
38.Il n'est toujours pas question
de préconiser l'adoption d'une telle législation. Mais
il est possible de proposer un certain nombre de mesures qui permettraient
de protéger les plus vulnérables et en dernier recours
de prévoir même l'interdiction de certains groupements
qui abriteraient notoirement les auteurs d'activités criminelles.
en matière
de prévention:
- La prévention passe
par l'information et la formation.
- Il conviendrait donc de créer
des centres nationaux d'information comme l'avait déjà
recommandé la Recommandation 1178; ces centres devraient
être indépendants de l'Etat. Ces centres pour être
plus efficaces devraient être réunis dans un Observatoire
européen des groupes à caractère religieux,
ésotérique ou spirituel.
- La formation devrait viser
surtout les adolescents et là encore il faut recommander
que les programmes d'éducation comprenne une information
sur l'histoire des grands courants de pensée dans le respect
de la neutralité de l'Etat .
- L'accent doit être mis
sur la protection des enfants afin, notamment d'avoir un meilleur
contrôle des conditions de vie et de scolarisation des enfants
vivant dans des communautés. La scolarité est obligatoire
dans tous les États membres seul l'âge maximum de l'obligation
scolaire varie. Il faut donc s'assurer que cette obligation est
respectée.
- La création d’organisations
non gouvernementales recueillant et diffusant des informations sur
les groupes à caractère religieux, ésotérique
ou spirituel devrait être encouragée surtout dans les
PECO.
en matière
de limitations:
- Lorsque l’obligation scolaire
n’est pas respectée les services sociaux doivent intervenir.
- En matière de santé
il semble que l'exercice illégal de la médecine soit
une pratique assez courante qu'il convient de sanctionner.
- Il serait nécessaire
de mener une réflexion sur les conséquences juridiques
de l'endoctrinement des adeptes, appelé souvent "manipulation
mentale".
- Un effort tout particulier
devrait être fait pour les pays d'Europe centrale et orientale
qui ne disposent pas encore de centres d'information ni même
d'associations regroupant les victimes des groupes à caractère
religieux, ésotérique ou spirituel. L'information
et la formation y sont encore plus urgentes que dans les autres
pays.
Commission chargée du rapport:
commission des questions juridiques et des droits de l'homme
Implications budgétaires pour
l'Assemblée: néant
Renvoi en commission: Doc. 7826 et
renvoi n° 2192 du 28 mai 1997
Projet de recommandation adopté
par la commission le 29 mars 1999 avec 24 voix pour, 1 voix contre et
3 abstentions
Membres de la commission: MM Jansson
(Président), Bindig, Frunda, Moeller (Vice-présidents),
Mme Aguiar, MM Akçali, Arzilli, Attard Montalto, Bartumeu Cassany
(remplaçant: Alis Font), Brand, Bulic, Clerfayt, Columberg, Contestabile,
Demetriou, Dreyfus-Schmidt, Enright, Mme Frimansdóttir (remplaçante:
Mme Ragnarsdóttir), M. Fyodorov, Mme Gelderblom-Lankhout, MM Holovaty,
Jaskiernia, Jurgens, Mme Karlsson, MM Kelam, Kelemen, Lord Kirkhill (remplaçante:
Ms McCafferty), M. Kresak (remplaçant: Fico), Mme Krzyzanowska,
M. Le Guen, Mme Libane, MM Lintner, Loutfi, Magnusson, Mancina, Mme Markovic-Dimova,
MM Martins, Marty, McNamara (remplaçante: Mme Cryer), Mozetic,
Mme Näslund, MM Nastase, Pavlov, Pollo, Polydoras, Mme Pourtaud,
MM Rippinger, Robles Fraga, Rodeghiero (remplaçant: Speroni), Roth,
Schwimmer, Shishlov (remplaçante: Mme Pobendiskaya), Simonsen,
Solé Tura, Solonari, Staciokas (remplaçant: Dagys), Sungur,
Svoboda, Symonenko (remplaçant: Khunov), Tabajdi, Verivakis (remplaçant:
Liapis), Vishnyakov (remplaçant: Glotov), Vyvadil, Weyts, Mme Wohlwend.
Secrétaires de la commission:
M. Plate, Mmes Coin et Kleinsorge
[Observation de l'auteur du site
Le Secticide: si les états s'interdisent ici de jauger la "religiosité"des
groupes concernés par ce texte en raison de leurs obligations formelles,
rien n'empèche les individus opposés à un galvaudage
des termes "religion" ou "religieux" ou "église"
etc., de continuer à démontrer la laïcité forcenée
de certains de ces groupes et leurs buts exclusivement lucratifs.
Nous sommes heureux de constater
que les dérives de ces mouvements sont désormais bien saisies
par la Commission.]
Note
1 :Ce rapport
a été retiré le 13 juillet 1998.
Note
2 : Sur l’utilisation
de ce faux débat par ou contre des « sectes »,
voir notamment C. ERHEL et R. de la BAUME (éd.), Le procès
de l’Église de Scientologie, Paris 1997 ; M. INTROVIGNE &
J. GORDON MELTON (éd.), Pour en finir avec les sectes - Le débat
sur le rapport de la Commission parlementaire, Turin 1997.
Note
3 : La définition
traditionnelle du terme « secte », soit selon le
Petit Larousse 1996, un « ensemble de personnes qui professent
une même doctrine philosophique ou religieuse » ou un
« groupement religieux clos sur lui-même et créé
en opposition à des idées ou des pratiques religieuses dominantes ».
Cette définition, qui contient plusieurs éléments
pertinents, ne permet toutefois pas d’appréhender l’ensemble du
phénomène sectaire moderne : de nombreux mouvements
de pensée n’ont rien de commun avec les courants religieux traditionnels,
qu’ils proposent une doctrine syncrétique assemblant des éléments
de diverses religions ou qu’ils prônent des théories scientifiques
ou ésotériques.
Note
4 :Arrêt du
25 mai 1993, en la cause Minos Kokkinakis c. Grèce, RUDH, 1993,
pp. 251/254-255.
Note
5 : DR 1995/80B, pp.
147/150-151, Monsieur van den Dungen.
Note
6: .DR 1979/14, pp.
234/236, X.
Note
7 : ATF non publié
du 2 septembre 1997, en la cause U. SA. c. Département de Justice
et Police et des Transports du Canton de Genève.
Note
8 : DR 1985/42, pp.
247/268, Borre Arnold Knudsen.
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